Mois de l’histoire des Noirs : soyons fiers de nos modèles de réussite en ballet!
Par Alix Laurent, directeur général de l’École supérieure de ballet du Québec
Depuis plusieurs années maintenant, février est le Mois de l’histoire des Noirs (MhN). Lancé en 1926 par l'Américain Carter G. Woodson, le MhN est désormais célébré un peu partout au Québec, ailleurs au Canada et particulièrement aux États-Unis. Ce temps de commémoration nous donne l’occasion de mettre en lumière des Québécois passionnés qui, au-delà de la couleur de leur peau, sont des exemples de persévérance et de réussite. On connait et on adore les grands Québécois comme le joueur de tennis Félix Auger Aliassime, l’écrivain Dany Laferrière ou encore la pédiatre hématologue Dre Yvette Bonny qui a réalisé la première greffe de moelle osseuse au Québec. J’aimerais vous parler d’une autre belle réussite, dont nous sommes très fiers à l’École supérieure de ballet du Québec. Elle se nomme Tatiana Lerebours et elle est la première Québécoise d’origine haïtienne qui danse professionnellement pour Les Grands Ballets canadiens (GBC).
Tatiana Lerebours à l'École supérieure en 2011 et en 2020 © Michael Slobodian
Très jeune, Tatiana partait toute seule du nord de Montréal pour venir prendre ses cours de danse à l’École supérieure. Elle a tout d’abord été remarquée en 2008 par la professeure Christine Williams qui était responsable du programme récréatif. Quelques années plus tard, à titre de directrice artistique de l’école, Anik Bissonnette s’est assurée que le talent naturel de Tatiana puisse totalement éclore dans l’univers rigoureux, passionnant et unique de notre institution. Comme la plupart des jeunes qui ont étudié en même temps qu’elle, Tatiana a probablement rencontré de nombreuses difficultés et a dû connaître les hauts et les bas de ce monde artistique où le corps est comme un diamant qu’il faut polir tous les jours. Mais, comme son talent a toujours été nourri par son rêve de danser professionnellement, avec la mise en place des bourses d’études de la Fondation de l’École supérieure, nous nous sommes assurés de l’affranchir des réalités financières contraignantes qui auraient pu freiner son parcours.
Je vous parle de l’histoire de Tatiana parce qu’il fut un temps où une jeune fille talentueuse avec la couleur de sa peau n’aurait jamais pu entrer dans une grande école et encore moins, danser pour une grande compagnie de danse. Le ballet classique, qui prend son envol sous l’égide de Louis XIV, était réservé aux nobles, aux aristocrates ainsi qu’aux membres de la royauté. Une conception de la beauté et de la pureté « blanche » européenne a ainsi dominé jusqu’au tournant du 21e siècle. Le monde du ballet a donc pendant très longtemps fermé ses portes aux personnes noires. C’est d’ailleurs pour cette raison que quelques-unes des plus importantes écoles et compagnies de danse aux États-Unis ont été créées par des Noirs afin de contourner les horribles barrières du racisme. Pensons au Alvin Ailey American Dance Theater créé en 1958 ou au Dance Theatre of Harlem qui a vu le jour en 1969. Ces tristes passages de l’histoire ne doivent jamais être oubliés. Cependant, même si maintenant les préjugés conscients ou inconscients peuvent persister, aujourd’hui il est important de reconnaître que le monde a changé. Cet art magnifique qu’est le ballet devient d’autant plus utile lorsqu’il réunit sur la même scène les artistes, quelle que soit la couleur de leur peau. Le talent doit demeurer le seul critère qui compte réellement!
Depuis quelques années, Les GBC accueillent dans leurs studios une nouvelle génération de danseurs parmi lesquels on retrouve quelques jeunes Noirs formés à l’École supérieure. Notez que le chemin pour y parvenir demeure tout aussi exigeant qu’avant et tous les artistes de la compagnie doivent surmonter les mêmes difficultés. Cependant, tout en reconnaissant qu’il reste du travail à faire, la porte d’entrée dans le monde de la danse classique s’ouvre et laisse tomber plusieurs des barrières du passé. La couleur de la peau ne peut plus être le frein qui empêche l’accès à une formation de haut niveau en danse ou de fouler les scènes d’ici et d’ailleurs au sein d’une grande compagnie de danse.
J’aime bien croire qu’il y a presque 18 ans maintenant, mon faciès n’a probablement pas été pris en considération lorsque l’École supérieure a décidé de me choisir comme directeur général. J’imagine que les membres du conseil d’administration d’alors étaient loin de songer aux retombées stratégiques qu’aurait ce geste en 2023. Force est de constater que je fais partie malgré moi de ces changements qui indiquent à tous que notre monde évolue et que nous avons tous la responsabilité de le rendre meilleur.
Alix Laurent œuvre dans le domaine culturel depuis plus de 25 ans et agit comme directeur général de l’École supérieure depuis 2006. Grand défenseur de la diversité et des relations interculturelles, il a été l’un des principaux instigateurs des célébrations du Mois de l’histoire des Noirs au Québec et a fondé la Semaine d’actions contre le racisme et le Festival de films sur les droits de la personne de Montréal. Très impliqué dans le milieu culturel, il siège actuellement au conseil d’administration du Conseil des arts et des lettres du Québec (CALQ) et préside celui de l’Association des écoles supérieures d’art du Québec (ADÉSAQ).
L’École supérieure de ballet du Québec a pour mission de former des danseurs et des créateurs répondant aux plus hauts critères des institutions du monde professionnel de la danse et, par le fait même, de promouvoir la reconnaissance, le rayonnement et le développement de la danse. Fondée en 1952 par madame Ludmilla Chiriaeff et incorporée en 1966 à la demande du ministère des Affaires culturelles du Québec, elle est la référence au Québec en matière d’enseignement et de formation professionnelle en danse classique.